Quand tu lèves les yeux
Seuil Jeunesse

NOTE GLOBALE

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ÂGE CONSEILLÉ

9 - 12 ans

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#aventure | #bienveillance | #conte | #créativité | #déménagement | #dessin | #écrivain | #fantastique | #imagination | #solitude

Auteur/illustrateur : Decur (Guillermo Decurgez)

Traductrice : Anne Cohen Beucher

Maison d'édition : Seuil Jeunesse

Collection : /

Nombre de pages : 184

Date de parution : Septembre 2021


Lorenzo et sa maman déménagent. Accroché à son téléphone portable, le jeune garçon râle. Non seulement ce déménagement le sépare de ses copains, mais en plus, le voilà sans réseau. Y aura-t-il du wifi dans la nouvelle maison ? Lorenzo n’en est pas sûr et cela l’enthousiasme encore moins… Ni les sollicitations de sa mère, ni l’immense jardin qui entoure sa nouvelle maison, ni même sa nouvelle chambre qu’il peut enfin découvrir ne réussiront à l’émerveiller. Tout ce qu’il veut, c’est pouvoir se reconnecter en ligne.

Tandis que sa maman prépare un casse-croûte, Lorenzo découvre avec stupéfaction l’étrange meuble laissé dans sa chambre par le précédent propriétaire : un secrétaire immense et rempli de tiroirs. À l’intérieur, le jeune garçon y découvre un cahier. Intrigué, il délaisse son téléphone et s’assied sur le rebord de la fenêtre, prêt à en découvrir le contenu. Au fil des jours, il se plongera dans les 4 contes qui composent le mystérieux carnet : 

Le dragon de bronze : L’histoire d’une autruche et d’un lapin qui jouent à la balle dans une minuscule pièce remplie d’objets de valeurs. Alors qu’ils brisent une lampe ancienne, celle-ci se transforme en gigantesque monstre qui poursuit le lapin à travers forêts et champs de chewing-gum.

La botte et le chapeau : L’histoire d’un chat amateur de vélo qui sauve une girafe qui, venant de se faire mordre par un roquet, devint bleue et rapetisse de minute en minute.

L’usine : L’histoire d’ouvriers perdrix travaillant à la chaine dans une usine de confection de pièces métalliques, sous les ordres d’un coq tyrannique. Le rythme est tellement soutenu et la crainte de perdre son emploi tellement forte que tous restent à la tâche lorsqu’un énorme monstre de feu survint un jour… 

Le navigateur de mes rêves : L’histoire d’une souris errant sur les flots d’un immense océan. Son seul désir : être un jour trouvée par un navigateur.



Ces histoires étranges fascinent Lorenzo qui essaie de mieux les comprendre et de se les approprier en les dessinant à son tour dans un nouveau carnet. Ce faisant, il oublie son téléphone et réapprend à s’occuper à partir de son imagination. C’est grâce à ces contes fantastiques que le jeune homme acceptera de sortir de chez lui, rencontrera un énorme chien borgne qui deviendra son premier ami, se mettra à dessiner, trouvera une usine abandonnée, et enfin, fera la rencontre d’un vieil homme isolé qui changera définitivement sa vie et lui offrira de quoi continuer à exprimer sa créativité.


Notre avis :

Quand tu lèves les yeux est un livre qui ne laisse pas indifférent. On en ressort ému, aussi touché par l’histoire et les messages qu’elle véhicule que par la singularité des illustrations.

L’enchantement commence dès que l’on saisit ce bel album dont la couverture cartonnée recouverte de papier non plastifié et l’épaisse reliure nous procurent la sensation de tenir en main un livre ancien. À l’intérieur, textes et images se marient parfaitement, tantôt sous la forme de cases de bande dessinée, tantôt sous la forme plus traditionnelle d’un livre illustré. 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Quand tu lèves les yeux aime mélanger les genres. Outre les caractéristiques spécifiques aux bandes dessinées, on retrouve des caractéristiques propres aux romans graphiques et aux albums jeunesse. Collages, peinture naïve et traits à l’encre s’associent au fil des pages, donnant à l’ensemble un caractère unique.

Le mécanisme narratif est original lui aussi. L’auteur nous raconte une histoire principale (le déménagement de Lorenzo et sa découverte du cahier) qui sert de trame pour nous faire découvrir les histoires secondaires figurant dans le cahier découvert par l’enfant. Ces récits parallèles se distinguent les uns des autres par leur mise en page différente de même que par leur style. En tant que fil conducteur, l’histoire de Lorenzo est plus réaliste et plus longue que les histoires écrites dans le cahier qui prennent la forme de contes animaliers, courts et fantasques. Fiction et réalité se rejoignent lorsque Lorenzo retrouve l’auteur du cahier et comprend la signification cachée des contes.

Les lecteurs se sentiront peut-être d’abord un peu perdus face à ce livre inhabituel. Très vite, ils se prendront au jeu et se laisseront guider entre l’histoire principale et les récits secondaires, avec ce sentiment de se promener à travers un dédale dont il faut percer les secrets. Un jeu de déduction se mettra en place spontanément, tandis qu'ils commenceront à établir des liens entre les récits. Petit à petit, les pièces du puzzle prendront tout leur sens, pour le jeune héros de l’histoire comme pour les lecteurs qui apprécieront alors pleinement ce qu’ils viennent de lire (et de vivre !).

Précisons que ce cheminement subtil demandera peut-être qu’un adulte aide les lecteurs plus jeunes à bien comprendre les liens qui leur auraient échappé. De quoi planifier un chouette moment d’échange !



Terminons en précisant que si le sujet de l’addiction aux écrans est abordé dans ce livre, il l’est de façon subtile et indirecte. L’auteur ne culpabilise pas l’utilisation des écrans, il se sert de cet album pour valoriser tout ce qui peut être fait dès lors que l’on choisit de poser le smartphone pour réinvestir le monde physique. Surtout, il met en avant le plaisir de créer, d’écrire, d’inventer des histoires. Il offre des alternatives à la sempiternelle culpabilisation en insistant avant tout sur le bonheur de créer son propre univers par l’activité créatrice plutôt que la consommation passive de contenu diffusé par un téléphone. Cerise sur le gâteau, tout cela est communiqué à travers l’histoire, mais jamais formulé de manière explicite, de sorte à ne braquer personne.


Au final, on sort de cette lecture avec une envie furieuse de se mettre à créer, à laisser des traces quelles qu’elles soient, et à apprendre nous aussi à voir notre réalité sous un autre œil, par exemple, l’œil d’un conteur fantastique !