Puisette et Fragile
Seuil Jeunesse

NOTE GLOBALE

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ÂGE CONSEILLÉ

6 - 9 ans

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#accueil | #amitié | #bienveillance | #différence | #fable | #fantastique | #imagination | #mer | #océan | #rejet | #solitude | #surprise | #tempête | #tolérance

Autrices : Estelle Olivier & Laure Poudevigne

Illustrateur : Samuel Ribeyron

Maison d'édition : Seuil Jeunesse

Collection : /

Nombre de pages : 88

Date de parution : Septembre 2021


Puisette et Pingouin vivent dans un phare blanc à rayures jaunes, perché sur une île perdue au milieu de l’océan. Si Puisette vit dans cet environnement isolé, c’est parce qu'elle a une mission : son rôle à elle, c’est de « faire » la mer. Et ce n’est pas une mince affaire ! Chaque matin, Puisette doit accrocher le soleil, hisser les mouettes, fabriquer les nuages, mettre les vagues en place, plier et déposer les bateaux, regonfler les poissons un peu raplapla, bref, elle n’a pas le temps de s’ennuyer ! Et chaque soir, c’est le même scénario : elle range précautionneusement les éléments déployés, en attendant de tout remettre en place le lendemain matin. La jeune fille a donc une vie bien remplie où l’organisation règne en maître !


Un matin, un colis arrive porté par les flots. Puisette et Pingouin sont perplexes face à la grande caisse en carton d’où s’échappent des sons. Alors qu’ils se demandent quoi faire, la caisse s’ouvre et une fillette en sort. Pour Puisette qui pensait être la seule petite fille au monde, c’est la stupéfaction. D’autant plus que cette nouvelle personne n’est pas loquace. Face à son manque de langage, Puisette décide de la prénommer Fragile. Après tout, c’est ce qui est écrit sur la boite !



La surprise passée, Puisette se trouve bien embêtée lorsqu’elle constate que Fragile ne semble pas vouloir repartir de son île. Il faut dire que la nouvelle venue est plutôt maladroite. Elle marche sur les vagues, met l’épuisette sur sa tête, déplie les bateaux en papier, bref, elle désorganise tout ce qui avait été si soigneusement mis en place.



Si Fragile est comme une tornade qui bouleverse l’univers bien rangé de Puisette, son innocence et sa naïveté apportent aussi un vent de fraicheur. Faire danser les poissons avec une copine de jeu, c’est nouveau pour Puisette qui, jusqu’ici, vivait seule avec son pingouin. Malgré tout, cette dernière reste sur ses gardes. Hors de question que la nouvelle venue dorme avec elle dans le phare, et hors de question qu’elle la laisse s’occuper de la mer avec elle. Chacune sa place !



Mais rien n’y fait, Fragile essaie désespérément de tout faire comme Puisette qui, face à sa constante maladresse, finit par la chasser de son île. Puisette n’en est pas soulagée pour autant. Rapidement, la tempête gronde tandis que la jeune fille se sent de plus en plus mal à l’idée d’avoir renvoyé la drôle d’invitée au milieu des flots déchainés…


Ni une ni deux, Puisette construit un bateau pour aller sauver Fragile. Les vagues aussi grandes que des immeubles et le vent violent lui font moins peur que la perspective de perdre à jamais son amie. Il faut dire que l’île est bien vide depuis que l’étrange jeune fille est repartie…



Pour finir, c’est sur son île que Puisette retrouvera Fragile qui s’y était à nouveau échouée. Soulagées et heureuses de se retrouver, les deux petites filles décident de rester ensemble avec Pingouin. Et pour que la vie à trois soit plus simple, Puisette partage un peu de ses mots avec Fragile, afin que celle-ci apprenne à communiquer avec eux.



Notre avis :

Difficile de classer ce bel album qui tient de la BD, du livre jeunesse, mais aussi du roman graphique. Ce qui est certain, c’est que la poésie et l’imaginaire y occupent une place centrale. Les mots d’Estelle Olivier et Laure Poudevigne se marient à merveille avec les illustrations de Samuel Ribeyron pour faire naitre un univers dans lequel on se projette facilement, un monde rempli de douceur, où l’on peut recoudre le ciel, déposer les vagues et arroser la mer. Un monde où l’imagination et le rêve ont toute leur place.


Onirique, Puisette et Fragile l’est aussi grâce à ses magnifiques illustrations qui combinent les éléments tracés et collés. Constituées d’un mélange de rose, de bleu et de jaune sur fond blanc, les couleurs sont à la fois douces et lumineuses. Elles rappellent l’enfance et l’innocence des protagonistes, reflètent la sérénité de l’île et donnent un côté irréel à l’histoire.


Le graphisme est simple et la mise en page épurée, presque minimaliste, comme pour laisser plus de place aux projections personnelles des lecteurs. Seules les pages consacrées à la tempête diffèrent. En mélangeant les couleurs sombres avec des dessins qui semblent presque animés, l’artiste illustrateur nous plonge au cœur du tourbillon météorologique, mais aussi émotionnel vécu par Puisette lorsqu’elle pense avoir perdu son amie.



Puisette et Fragile est un livre qui fait usage du symbolisme pour aborder des thèmes importants de façon presque irréelle.


Le premier thème abordé est bien sûr celui de la relation avec l’autre, et plus précisément de ces relations qui viennent bousculer nos habitudes. Quand Puisette se rend compte qu’il y a une enfant dans la boite échouée sur son île, elle a du mal à y croire. Elle regarde Pingouin et résume la situation à voix haute. « Ce n’est pas toi, Pingouin. Mais ce n’est pas moi non plus. » ajoute-t-elle, comme pour mieux appréhender cette réalité. C’est « un autre », conclut-elle alors, avec toute la mesure de ce que cela implique… Parce que l’Autre, quand il n’est pas attendu, n’est pas toujours facile à accueillir.



Ce livre nous parle en effet de la crainte de devoir " faire avec " des personnes qui arrivent dans notre vie alors qu’on ne les attendait pas, de l’inconfort qu’elles provoquent malgré elles en perturbant notre routine bien huilée. Mais aussi de tous les bénéfices qu’elles peuvent nous apporter, à condition que l’on parvienne à passer outre la crainte et les sentiments négatifs que nous inspire la nouveauté. Car c’est au moment où Puisette pense ne plus jamais revoir Fragile qu’elle se rend compte du manque que son absence pourrait provoquer.


En fin de compte, même si c’est épuisant de devoir introduire quelqu’un d’autre dans sa vie, même s’il faut apprendre à s’habituer à une personne différente, même s’il faut en quelque sorte s’apprivoiser, que c’est agréable de ne plus avancer en solitaire !



Puisette et Fragile est également un album dans lequel le langage occupe une place centrale. Difficile de ne pas remarquer à quel point l’absence de langage de Fragile renforce les incompréhensions entre les deux enfants, mais aussi les maladresses de la nouvelle venue qui ne comprend pas ce que l’on attend d’elle. Au fur et à mesure de l’histoire, on constate le rejet engendré par le manque de langage, la crainte de se trouver face à quelqu’un que l’on ne comprend pas et, au contraire, les ponts qui sont créés lorsqu’une communication se met en place. Un récit qui ne peut que nous faire penser à la situation de ces hommes et ses femmes qui fuient leur pays pour trouver refuge dans d'autres contrées dont ils ne connaissent ni les coutumes ni la langue…


Pour nous faire encore mieux comprendre toute l’importance du langage, les deux autrices se jouent de la langue pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Cela commence avec les prénoms des personnages : Fragile nommée en référence à l’inscription qui figure sur la boite dans laquelle elle arrive, et Puisette dont le prénom provient du mot épuisette, simplifié comme le ferait un enfant.

On retrouve d’ailleurs ce langage typiquement enfantin dans les paroles de Puisette. Écrites dans une série de phylactères, les phrases prononcées par Puisette sont courtes, s’enchainent rapidement, ne craignent ni les répétitions ni les interjections et donnent au texte un aspect plein de vie. Les enfants se retrouvent dans son langage littéral et enfantin, tandis que les adultes savourent le sens plus imagé de certaines phrases (un coq en pâte devient un pingouin en pâte, la mer est un terrain de vagues, etc.). Cette lecture à deux niveaux satisfait les lecteurs de tous les âges : elle offre l’occasion de partager les points de vue respectifs et permet aux plus jeunes de se construire une première compréhension de l’album sans avoir nécessairement besoin d’être assistés.