Un billet de Sophie Weverbergh
Jeux drôles et jeux dangereux, jeux de main et jeux de vilain, jeux d’adresse et de hasard, jeux de foire, jeux de mots et jeux de mémoire, jeux d’eau, jeux de nuit, jeux d’adulte, jeux d’amour et jeux toujours ; la liste est longue, il existe autant de jeux que de « je », sans doute.
Ces jeux par milliers se donnent à voir partout mais il est un lieu particulier – haut lieu… – où le jeu triomphe, c’est La Cour de Récré.
Dans cette Cour – très institutionnalisée… –, il n’y a qu’une seule règle : jouer.
C’est aussi simple que ça…
En ce début d’automne, la rentrée est dépassée, consommée, et la cour de récré peuplée d’enfants qui s’y trouvent et s’y cherchent, s’y frottent et s’y piquent et (s’)y jouent et rejouent comme si leur vie en dépendait.
Je ne plaisante pas ; le jeu est une affaire sérieuse.
Tous les matins, je lâche mon fils ainé dans sa cour de récré, sorte d’arène où se fréquentent et s’affrontent jolis petits chevaux, taureaux nerveux, loups féroces, brebis égarées, chèvres imprudentes, petits cochons distraits, cigales inconscientes et fourmis affairées, faons abandonnés, renards futés, noirs corbeaux et blanches colombes, vilains petits canards, pie bavarde, chat botté, petit ours et autres dinosaures, dragons, tortues effrontées, pingouins insolents, sages hiboux…Et j’en passe.
Tous les matins, j’observe ces enfants durant quelques minutes et quelques minutes suffisent à déchiffrer l’espace de jeu – le manège, la scène… – et la répartition des rôles. Et tous les matins, je me souviens du rôle que je jouais lorsque j’étais enfant…
Mais dites-moi, qui étiez-vous ?
Quel rôle jouiez-vous dans ce ballet incertain ? Étiez-vous un chef, de ceux qui font la loi et disent « à quoi on joue » ? Un meneur ou un suiveur, un lunaire, un solitaire, un timide, un peureux, un étranger, un adapté, un bagarreur, un gentil ou un méchant, un à lunettes ou sans, un beau ou un vilain, un qu’on aime ou un qu’on moque… ? Étiez-vous un grand, un petit ou un gros, étiez-vous un nouveau, un pleurnicheur, un malin, un bavard ou un muet, un dur ou un tendre, un rêveur, un menteur, un lutteur, un fragile, un distrait, un discret ?
Bien sûr, aucun rôle n’est donné définitivement ni aucun jeu perdu ou gagné d’avance ; dans ces cours de récré, les étiquettes collent et puis elles sèchent et elles tombent et on les recolle sur son front ou dans le dos des autres, on se les refile, on se les vole, on évolue, on change, on s’échange nos casquettes, nos lunettes et nos places…
Et peu à peu, l’enfance passe.
Mais il reste une empreinte, une trace – j’en suis certaine… – des jeux qu’on se choisissait du temps où l’on jouait « pour du vrai ».
J’étais une conteuse et je le suis encore.
Aujourd’hui, j’ai troqué le muret en béton de la cour de récréation contre la chaise en bois du bureau mais les histoires changent peu… Et je les conte avec autant de joie aux deux ou trois personnes (rarement plus) qui m’écoutent !
Mais vous alors, quel enfant étiez-vous ?
Et quel jeu était le vôtre ?
Et qu’en reste-t-il ?