Plus que jamais, la continuité pédagogique et le maintien des apprentissages nous préoccupent. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'à l'heure du confinement, hors des écoles, nous avons peur que nos enfants désapprennent et régressent, nous avons peur aussi qu'ils se lassent et s'ennuient. Alors, dès que possible, nous structurons leur quotidien, nous régentons leurs horaires (et les nôtres), nous les sollicitons et leur proposons une foule d'activités amusantes, éducatives, originales, créatives...
C'est très bien, mais...
Il y a un mais !
Nos enfants n'ont pas besoin d'être sollicités durant des heures entières ! Un trop-plein d'activités structurées ou proposées par l'adulte (aussi bienveillant soit-il) peut même être contre-productif. On ne le répétera jamais assez : les enfants ont besoin de s'ennuyer un peu pour faire émerger et développer leur potentiel créatif, pour apprendre à se connaître, pour identifier et préciser ce qu'ils aiment vraiment. Ils ont besoin d’avoir le temps, le temps de tourner en rond, puis de se mettre à jouer librement. Et si le jeu libre est bénéfique pour les enfants, il l’est aussi pour les parents à qui il offre quelques instants pour travailler, avancer sur un projet, faire le ménage, ou simplement se reposer et éviter de craquer !
Ok, mais le jeu libre, c’est quoi ?
C'est le jeu auquel l'enfant joue librement. Et on les connaît bien ces jeux... C'est celui de Juliette et Matthias qui se déguisent et jouent à maman et papa, c'est celui d'Abdel qui crée des villes imaginaires en pâte à modeler ou celui d'Ellea et Lucas qui construisent des cabanes et s'y racontent des histoires dans le noir. C'est très simple : il y a autant de jeux libres qu'il y a d'enfants. Chaque enfant structurera son jeu libre selon ses goûts, ses envies, l'humeur du moment, les jouets qu'il veut utiliser (ou pas), son environnement (s'il est à l'intérieur ou dehors), son entourage (s'il est seul ou en collectivité).
Et les autres jeux ?
Jeux de société, bricolages, exercices de psychomotricité... Toutes ces activités sont bien sûr très profitables à nos enfants, on le sait ! Mais si nous avons décidé de nous arrêter sur le jeu libre, c’est pour deux raisons :
- D’abord parce qu'il est sous-estimé et trop peu exploité (on dit même qu'il est en voie de disparition...).
- Ensuite parce que c’est le plus riche et le plus important des jeux, même si on a l’impression que c’est le moins sérieux, le moins éducatif et le plus bordélique !
Un jeu en voie de disparition !
Le jeu libre en voie de disparition ? Malheureusement oui ! Les professionnels de l'éducation (sociologues, pédagogues, chercheurs) tirent la sonnette d'alarme lorsqu'ils constatent que nos rejetons sont de plus en plus occupés par des activités extrascolaires, des cours particuliers, des animations à l'académie, au club de sport, au musée... Force est d’admettre que nos enfants ont des agendas de ministres. Et quand ils ont enfin un peu de temps (à l'heure du confinement, par exemple), on cherche à les occuper d'une manière qu'on espère éducative et constructive. On se dit qu’ils s'amusent parce qu’on leur propose un kit de savon à fabriquer, mais ils jouent en suivant NOS consignes et NOS conseils. Sans le vouloir, on leur impose donc notre vision du monde plutôt que de les encourager à s'en forger une.
Le jeu libre, un jeu d’une richesse inouïe
S'il fallait choisir un jeu pour remplacer tous les autres, ce serait le jeu libre. Pourquoi ? Parce qu'il est d'une richesse inouïe...
- On l'a déjà dit ; les enfants qui jouent librement développent leur créativité et leur imagination. Et ce faisant, ils s'arment pour l'avenir. Sans en avoir conscience, ils se préparent à négocier et affronter avec originalité les situations problématiques auxquelles ils pourraient avoir à faire face. Julien veut jouer aux cow-boys et aux Indiens, mais Sarah, elle, veut jouer au docteur... Il va falloir argumenter et trouver un compromis - pourquoi pas une doctoresse qui soigne un indien ?
- Concernant le langage, chaque fois que les enfants se créent un jeu à un thème, ils développent le vocabulaire qui y est associé. En jouant aux cow-boys, par exemple, Sarah et Julien parlent tipi, troupeaux, apaches, chapeau, pistolet, plumes... Et plus ils entendent les mots et s’entraînent à les redire, plus ils les assimilent. Les mots sont donc de mieux en mieux articulés et les phrases de mieux en mieux construites. Mais ce n'est pas tout ; ils enrichissent aussi leurs compétences non verbales quand ils font semblant d’être inquiets, heureux, jaloux, etc. Ces émotions exprimées dans leurs saynètes les aident à mieux analyser les mimiques, à mieux comprendre comment s’exprime le corps et comment l’utiliser pour faire passer un message.
- Dans le même ordre d'idée, le jeu libre leur permet d'apprendre à réfléchir. Car tout ne se passe pas toujours comme prévu. Comment faire quand la tour s’écroule pour la 3e fois alors qu’elle devrait tenir en place ? Les enfants qui jouent librement font aller leurs méninges à plein régime !
- Ils développent aussi leur flexibilité mentale. Rien n’est écrit à l’avance. Rien n'est figé. Un enfant qui joue avec un copain n'a pas une totale maîtrise sur le jeu, il ignore comment évoluera l'histoire et doit donc s'adapter et tenir compte des envies de son partenaire à mesure que leur jeu évolue et se reconfigure.
- Le développement de la motricité est lui aussi au rendez-vous puisque lorsqu'il joue, l’enfant saute, court, danse, mime. Il apprend à contrôler ses mouvements. Et lorsqu’il doit faire des gestes précis, il développe sa dextérité, sa précision, sa patience… Autant de compétences qui lui seront indispensables pour apprendre à écrire, notamment.
- Enfin, le jeu libre a aussi les vertus d'un inestimable médicament naturel. Il aide l’enfant à exprimer ses inquiétudes, à les mettre en scène pour mieux prendre du recul, à se consoler, se rassurer. Un enfant qui aurait peur d'aller chez le docteur, par exemple, écoutera battre le cœur de sa poupée et lui fera des piqûres. Un enfant timide s'inventera une vie de superhéros, un enfant maladroit deviendra cascadeur, d'autres pourront rejouer une dispute pour mieux la décoder, d'autres encore s'inventeront un monde plus drôle... Le jeu libre permet aux enfants d'exprimer leurs émotions et de reprendre le contrôle sur la situation. Vraiment : rien de tel pour affronter une période aussi stressante que celle du confinement !
Une autre raison ?
S'il fallait encore un argument en faveur du jeu libre, on vous dirait que c’est aussi un des jeux les plus simples à organiser ! Ni plateau ni cartes à disposer, aucun matériel indispensable, aucune obligation concernant le nombre de joueurs, pas de règles à déchiffrer... Les enfants trouvent toujours une manière de jouer librement, même s'ils doivent s'ennuyer un peu (beaucoup) afin de faire bouillonner la marmite à idées.... Et si vraiment vos enfants peinent à amorcer le jeu libre, on vous donnera dans un autre article quelques petites idées pour susciter cette envie de se remettre à jouer !